Carol fut précédé par le cyclone Alix qui fragilisa le pays. Il mettait ainsi fin à une longue période de 15 ans durant laquelle Maurice avait été totalement épargnée par de forts cyclones. Les derniers qui avaient fait mal au pays furent les trois cyclones de 1945.
Alix prit naissance le 12 janvier au Sud-Ouest de Diego Garcia et après être passé à environ 30 kilomètres au Nord-Ouest de St Brandon incurva sa trajectoire vers le Sud pour venir longer, à une trentaine de kilomètres également, la côte Ouest de Maurice durant l’après-midi du 19 janvier.
Les rafales atteignirent 200 km/h et la pression barométrique descendit à 970 hectopascals. Les dégâts furent considérables car les Mauriciens avaient oublié durant cette période d’accalmie que l’île était exposée périodiquement aux vents cycloniques et avaient sans doute négligé de consolider leurs habitations.
Alix fit six victimes. Environ 20 000 bâtiments et maisons furent totalement détruits ou sérieusement endommagés et quelque 25 000 personnes prirent refuge dans les centres d’accueil. Certaines régions, telles Montagne-Ory et Saint-Pierre, furent particulièrement touchées. Les arbres abattus par le cyclone bloquaient la plupart des routes. L’agriculture et les forêts subirent de graves dégâts. De nombreuses embarcations de pêche, principalement sur la côte Ouest, furent emportées et dans la rade trois navires s’étaient mis en pleine mer. Mais le pire était à venir…
Des vents estimés à 300 km/h
Un mois plus tard, alors que le gouvernement mauricien négociait une aide financière de l’occupant britannique, une nouvelle dépression se formait au Sud de Diego-Garcia. Elle fut nommée Carol. Celle-ci après s’être déplacée initialement vers le Sud-Ouest, amorça un virage vers l’Ouest tout en s’intensifiant.
Le météore avait déjà atteint le stade de cyclone le 26 février quand il s’abattit sur St-Brandon. Un minimum barométrique de 942 hectopascals fut enregistré et les rafales furent estimées à 250 km/h. Après être passé sur St-Brandon, le cyclone infléchit sa trajectoire vers le Sud, menaçant directement Maurice.
L’alerte III fut déclenchée à 5h du matin le 27 et, au cours de la journée toutes les indications de la station météorologique estimaient que Carol passerait en plein sur Maurice. Le cyclone n’avait pas faibli et le dimanche 28 au matin il se rapprocha de nos côtes avec des rafales soufflant du Sud-Est avec une extrême violence, accompagnées des pluies torrentielles.
Le centre passa sur la côte Nord de Maurice vers 8h30 ce matin là et traversa l’île du Nord au Sud. Au cours de cette période, les vents violents du Sud-Est ont perdu graduellement de leur intensité et ont subitement stoppé pour être suivis d’un calme plat qui dura environ quatre heures.
En fait, Maurice était à ce moment là entièrement recouverte de l’œil de Carol— le centre du cyclone— qui avait un diamètre d’environ 60 kilomètres. Le soleil fit son apparition. Pendant cette accalmie les Mauriciens sortirent de leurs habitations pour aller constater les dégâts alors que d’autres s’attelaient à des premières réparations.
Le centre quitta la côte Sud peu après 15h. Les vents reprirent alors avec autant de furie mais soufflant de la direction opposée, c’est-à-dire du Nord-Ouest. La plus forte rafale enregistrée fut de 255 km/h mais dans certaines régions les spécialistes estiment que les rafales devaient atteindre les 300 km/h. La pression atmosphérique descendit jusqu’au record absolu toujours en vigueur pour Maurice de 942,7 hectopascals loin devant Gervaise (1975) avec 951 hectopascals et Hollanda (1994) avec 964 hectopascals. Carol fut ainsi le cyclone le plus intense de l’histoire jamais ressenti à Maurice et comme celui ayant occasionné le plus de dégâts.
39 morts et 80,000 sans-abris
Le cyclone fit 39 morts. Quelque 70 000 bâtiments furent entièrement détruits et beaucoup d’autres gravement endommagés. Environ 80 000 personnes s’abritèrent dans les nombreux centres de refuge. L’industrie sucrière souffrit énormément, plusieurs usines subirent des dégâts importants et la coupe, avec l’effet combiné d’Alix, fut réduite de 50%. Les forêts aussi souffrirent considérablement et les légumes disparurent des étals pendant plusieurs semaines. Les réseaux électriques et téléphoniques furent gravement endommagés. De nombreuses écoles restèrent fermées durant plusieurs semaines. Le pays était à genoux.
Pourtant, la saison cyclonique 1959-1960 fut une saison relativement calme. Seulement 8 dépressions furent observées alors que la moyenne annuelle était de 12. Des 8 dépressions, 3 atteignirent le stade de cyclone tropical et deux d’entre eux frappèrent Maurice avec une violence jamais égalée, si ce n’est Gervaise et Hollanda.
Il faut savoir qu’en 1960, les satellites météorologiques n’existaient pas encore. Il n’y avait pas de radar non plus et la météo ne disposait que des observations des îles avoisinantes et des navires en mer pour suivre et prévoir la marche des cyclones. Le département de la météorologie était alors dirigé par Edwin Davy.
Après le cyclone, comme à toutes les fois précédentes, la population se remit à l’œuvre avec courage pour relever le pays. La marine française vint porter assistance au pays. Il y eut aussi des mouvements de solidarité tel que les « Compagnons Bâtisseurs » fondé par Edwin de Robillard. Une aide initiale de deux millions de livres fut octroyée par le gouvernement britannique.
Carol eut un impact considérable sur la physionomie de Maurice. Les maisons en béton allaient progressivement remplacer celles en bois au style colonial, trop vulnérables aux intempéries et aux cyclones. Des programmes de reconstructions furent mis en chantier sous l’égide de la CHA pour remplacer les frêles maisons détruites des plus démunis ainsi que les longères, abris de fortune, construits après le cyclone.
Les cités à la périphérie des villes faisaient leur apparition. Par ailleurs, le début des années 60 vit la mise en œuvre de vastes chantiers tels que le tout-à-l’égout (Mc Alpine) et l’autoroute reliant Phoenix à l’entrée sud de Port-Louis. Maurice connut ainsi de grands changements et entrait dans l’ère de la modernité qui marqua les premiers pas vers les velléités indépendantistes…