Vina Ballgobin: «Des enseignants-mercenaires accordent trop d’importance aux leçons particulières»

6 years, 7 months ago - August 30, 2017
Vina Ballgobin

Vina Ballgobin

À l’occasion des 40 ans du collège Dr Maurice Curé, mercredi, Vina Ballgobin, première lauréate de l’établissement, se rappelle de ses années de collégienne. Et fustige le vrai problème du secteur éducatif : les lobbys.

>Quel regard jetez-vous sur vos années au collège Dr Maurice Curé ?

Je me souviens encore du premier jour. Mon père m’avait accompagnée à Vacoas. En classe, j’avais peur des enseignants, tous des inconnus. Je ne connaissais aucune des collégiennes. Nous étions à 20 et il y avait deux sections. Mais, très vite, nous sommes devenues amies. Nous avions un cadre de rêve ; beaucoup d’espace vert et peu de bâtiments. Nous avions l’habitude de jouer au hockey car les Anglais nous avaient laissé leurs équipements.

Un autre souvenir que je garde est le discours fédérateur des enseignants. L’un d’entre eux n’arrêtait pas de nous dire : «Ask not what your country can do for you; ask what you can do for your country.» Dans les années 1977-80, le pays était pauvre. Il y avait beaucoup de chômeurs. Dans ma famille, certains oncles et tantes avaient déjà immigré pour trouver du travail. Chaque année, j’étais très sensible au discours du ministre de l’Éducation le jour de la célébration de l’Indépendance.

Je me souviens des travaux collectifs pour l’organisation de la kermesse annuelle. C’était un travail de groupe et nous étions heureuses de faire quelque chose pour notre établissement et, par extension, pour notre pays. Un souvenir très présent est l’exemple de solidarité que nous donnaient les membres de la Special Mobile Force (SMF). Ils n’avaient rien à gagner quand ils nous aidaient à monter les tentes lors des kermesses. Ils nous prêtaient aussi leur piscine pour les leçons de natation. Je me souviens de la discipline extraordinaire des soldats de la SMF. Je voulais même intégrer l’armée à l’époque.

>Comment le collège a-t-il changé depuis vos années là-bas ?

Après ma première année en France, je suis rentrée pour les vacances. Bien sûr, je suis allée au collège pour rencontrer mes enseignants et mes amies, celles qui étaient en Upper 6 après notre promotion. Elles me disaient que tout avait changé et qu’une compétition s’était installée. Elles subissaient des pressions exercées par le personnel pédagogique pour être dans la course afin d’être lauréate. On avait même proposé à des élèves de choisir les mêmes matières que moi, alors que cela ne leur convenait pas. J’étais désolée pour elles car je n’avais jamais subi de pression. Je passais plus de temps à étudier ce que j’aimais sans aucune contrainte.

>Quid des infrastructures ?

Après 40 ans, les infrastructures ont changé. Le nombre de sections a augmenté. Mais le collège a conservé son cachet d’antan. C’est ce qui fait sa beauté. Il y a aussi une statue du Dr Maurice Curé au milieu de la cour. Toutefois, il y a moins d’espace vert.

>Le système a beaucoup changé, notamment avec l’élimination du Certificate of Primary Education. Qu’en pensez-vous ?

Le système fait des progrès, mais très lentement. Il y a plusieurs obstacles à surmonter. D’abord, la mentalité de certains parents, qui croient en la compétition et non pas dans l’apprentissage pour le plaisir et pour se cultiver. Ils mettent trop l’accent sur la réussite scolaire pour avoir un meilleur emploi et un salaire mirobolant. Ainsi, il manque une dimension humaine et socioculturelle à la formation des jeunes. L’éducation parentale devrait évoluer vers le respect des valeurs fondamentales.

Puis, il y a l’existence de certains enseignants-mercenaires qui accordent trop d’importance aux leçons particulières. Ils s’y mettent pour financer la construction de leur maison et les études de leurs enfants. Et construisent ensuite des bungalows au bord de la mer avant d’aller en vacances. En voulant remplir leur coffre-fort, ils ont oublié le sens premier de notre profession. Ils sont, en partie, responsables de la perte de l’intégrité au sein de la société mauricienne car les enseignants sont des modèles, bons ou mauvais.

>Vous évoquez souvent le niveau des élèves qui intègrent l’université. Qu’est-ce qui a causé cette chute ?

D’abord, comme d’autres jeunes dans le monde, ils ne lisent pas beaucoup, que ce soit des ouvrages en papier ou numériques. Savez-vous que certains n’ont jamais fréquenté une bibliothèque ? D’autres quittentles institutions universitaires en ayant lu uniquement des résumés.

Puis, il y a les leadership skills. La majorité des jeunes intègrent le niveau supérieur en tant qu’apprenants passifs. Ils engrangent les savoirs sans se poser de questions, sans la volonté de développer un esprit critique. Certains ont d’excellents résultats en UpperVI mais sont incapables de rédiger un travail en milieu universitaire. C’est effrayant cette incapacité de désapprendre pour réapprendre. Lorsque certains jeunes deviennent enseignants, ils éprouvent des difficultés pour gérer les apprenants. Il y a alors un problème d’indiscipline en classe qui s’aggrave.

Il y a aussi ceux qui ne font aucun effort…
J’ai constaté qu’un groupe arrive en milieu universitaire par contrainte. Ils mettent un barème pour réussir, soit entre 40 et 50 points sur 100. Ils ne feront aucun effort supplémentaire car ils en ont pris la décision. Ils calculent le nombre de travaux qu’ils doivent soumettre pour obtenir un pass mark.

Par contre, les étudiants qui ont un emploi à temps partiel sont, eux, très sérieux. Il y en a beaucoup plus qu’auparavant. Ils sont dévoués et ne refusent jamais de participer aux activités extracurriculaires. Peut-être que les institutions doivent se réinventer pour motiver les jeunes. Il faudrait plus de liens avec le monde du travail.

>La réforme éducative aidera-t-elle à résoudre ce problème ?

Aucune réforme éducative ne pourra réussir si les perceptions restent tenaces. Comment faire pour que la majorité des enseignants aient les mêmes compétences professionnelles ? Comment pourra-t-on développer les equal opportunities pour tous les jeunes scolarisés si les leçons particulières continuent de rester un business florissant ?

>L’introduction du Primary School Achievement Certificate (PSAC) vise à réduire le niveau de compétition des élèves. Est-ce un bon départ ?

C’est extrêmement important de réduire le degré élevé de la compétition. D’une part, vous avez ceux qui réussissent en milieu scolaire. Ils développent une certaine arrogance car ils se croient supérieurs aux autres à cause de leur diplôme ou de leur titre. Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que leur arrogance est la preuve tangible du manque d’autres formes d’intelligence chez eux.

D’autre part, il y a ceux qui ont perdu toute estime de soi car ils n’ont pas été à la hauteur des espérances des adultes de leur entourage. Quand un jeune ne comprend pas le monde où il vit, il n’accorde plus de valeur à la vie elle-même. C’est la raison pour laquelle il a recours à des moyens radicaux. Par exemple, à la violence physique ou psychologique sur soi ou sur les autres. Le pourcentage de jeunes fragilisés est en hausse.

Cela étant dit, pour le PSAC, la mise en place de la réforme a eu comme corollaire une augmentation exponentielle des leçons particulières. Car on commence en Grade 7 maintenant. Désormais, le système éducatif souffre doublement du shadow education.

>On parle également de l’intégration du théâtre dans le cursus scolaire. Un personnel qualifié est-il nécessaire pour assurer ces cours ?

Nous avons souvent raté des réformes en voulant avancer trop vite. Il faudrait, à mon avis, mieux planifier les choses et intégrer les matières quand il y aura assez d’enseignants qualifiés. Au cas contraire, la qualité va en souffrir. C’est normal de faire appel à des retraités qui sont qualifiés. Mais combien d’entre eux seront capables de comprendre la nouvelle génération et de communiquer efficacement avec elle ?

Autre question, combien de jeunes y aura-t-il par session ? Vous voyez un enseignant travailler avec 35 jeunes et être efficace? Vous imaginez l’énergie nécessaire pour gérer une telle classe ? Qu’en sera-t-il si l’enseignant a 65 ans ou plus ?

>Le collège Dr Maurice Curé devrait aussi devenir un centre d’excellence. Que pensez-vous de l’introduction des académies ?

Une autre vérité de La Palice : il y aura bientôt l’avènement de nouvelles star schools qui remplaceront les académies. On les connaît déjà. Je pense qu’il vaut mieux former les directeurs d’établissement. Ces derniers n’ont pas tous les mêmes compétences. Il faut pratiquer activement le sharing of experience et les good practices. Ce serait un moyen de lutter contre cette compétition malsaine entre jeunes, parents, enseignants, établissements…

>Voyez-vous des changements se profiler dans le sillage de la réforme de l’Éducation pour les universités ?

Le vrai problème du système éducatif, c’est l’existence de lobbys. Les réformes arrivent, les personnes à la tête des institutions changent ou ne changent pas, mais les pratiques malsaines des lobbys continuent. Peu importe le gouvernement en place, ces lobbys donnent l’air d’avoir une très grande immunité. Par conséquent, une bonne partie du personnel dévoué du système éducatif est frustrée et fait le minimum.

De plus, il y a une minorité qui lutte pour que le pays puisse s’en sortir. Les plus intègres ont la vie dure car ils sont entourés de la négativité et de la méchanceté des affamés du matérialisme.

Text by lexpress.mu

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